Nous nous sommes rendus au Japon spĂ©cifiquement pour assister au festival de la guĂȘpe de Kushihara, dont nous avons appris lâexistence par les diverses sources que nous avons consultĂ©es en prĂ©parant notre voyage.
Nous avions de ces sources une connaissance toute thĂ©orique des pratiques autour de la rĂ©colte et de la consommation des petites guĂȘpes et des frelons asiatiques, que les tĂ©moignages et les dĂ©monstrations des spĂ©cialistes locaux ont enrichie.
Avant de vous parler dâacteurs japonais locaux de la culture entomocole, nous voulions donc vous faire un rĂ©capitulatif de la technique elle-mĂȘme : de la façon dont sont chassĂ©s, Ă©levĂ©es et consommĂ©s les frelons et les guĂȘpes dans les rĂ©gions montagneuses du Japon.
Les guĂȘpes
Les petites guĂȘpes[1] ne sont pas les seuls insectes consommĂ©s au Japon, mais elles sont ce qui nous a attirĂ© dans le pays.
Ce qui est mangĂ© traditionnellement, ce ne sont pas les adultes volants mais les larves et les nymphes vivant dans les alvĂ©oles des nids de guĂȘpes.
Sur place, nous avons assistĂ© Ă la rĂ©colte des larves et nymphes marquant la fin du cycle annuel dâĂ©levage. Les pratiquants nous ont racontĂ© son dĂ©but.
Tout commence par une chasse.
Chasse
Des parallĂšles peuvent ĂȘtre effectuĂ©s entre les guĂȘpes et les abeilles : elles forment des groupes oĂč une seule reine pond des Ćufs, elles crĂ©ent des constructions alvĂ©olĂ©es pour conserver leurs petits et elles sont utilisĂ©es par lâĂȘtre humain pour de la production alimentaire.
Mais il existe une diffĂ©rence importante entre lâĂ©levage des abeilles et lâĂ©levage des guĂȘpes.
Les apiculteurs maĂźtrisent la reproduction des abeilles et crĂ©ent de nouvelles ruches Ă partir des essaims des anciennes. Les « vespuliculteurs » ne contrĂŽlent pas les guĂȘpes reproductrices, qui partent systĂ©matiquement fonder une nouvelle colonie dans la forĂȘt.
Et comme, pour rĂ©colter les larves et nymphes, les Ă©leveurs dĂ©truisent les nids (cf plus bas, paragraphe « rĂ©colte »), ils se retrouvent sans guĂȘpes reproductrices pour relancer le cycle dâĂ©levage et doivent retourner chercher des jeunes nids dans la forĂȘt au dĂ©but de lâĂ©tĂ© suivant, vers juin-juillet.
Fanions
Les colonies de guĂȘpes envoient des individus non-sexuĂ©s Ă la recherche de nourriture pendant la journĂ©e ; lĂ encore, on peut tracer un parallĂšle avec le fonctionnement des abeilles.
Les chasseurs profitent de ce comportement pour faire rĂ©vĂ©ler Ă ces guĂȘpes travailleuses lâemplacement de leur nid.
Des appĂąts sont placĂ©s dans la forĂȘt, gĂ©nĂ©ralement des morceaux de viande dâune taille assez petite pour que les guĂȘpes puissent les transporter entiĂšres Ă la maison. Ă ces appĂąts sont accrochĂ©s des fanions blancs trĂšs lĂ©gers. Les travailleuses qui veulent ramener des victuailles Ă la colonie sont forcĂ©es dâemporter un fanion qui volĂšte sur son sillage.
Les guĂȘpes ainsi marquĂ©es sont suivies Ă la trace tandis qu’elles retournent Ă leur nid. Les chasseurs, le nez en lâair fixĂ© sur les fanions, courent dans la forĂȘt. Le principal danger de la manĆuvre est de se prendre les pieds dans une racine ; les guĂȘpes occupĂ©es Ă rentrer au bercail ne les perçoivent pas comme un danger et, sauf exception, ne les attaquent pas.
Capture
Les nids des guĂȘpes Vespula sont des constructions de papier mĂąchĂ©. On y trouve des rayons superposĂ©s dâalvĂ©oles hexagonales[2], recouverts dâune enveloppe de papier mĂąchĂ© qui ferme le tout sauf pour un accĂšs.
Ces nids sont fondĂ©s dans le sol. Une fois repĂ©rĂ©s par les chasseurs, ils sont donc dĂ©terrĂ©s. Sâen suit, selon le cas, une pĂ©riode dâĂ©levage ou une rĂ©colte directe selon que le nid entre en possession de petits Ă©leveurs ou dâexploitants Ă plus grande Ă©chelle.
Ălevage
Un nid rĂ©cupĂ©rĂ© avec sa reine guĂȘpe peut ĂȘtre installĂ© dans des boĂźtes comparables aux ruches utilisĂ©es en apiculture.
Nids
La « ruche » est une boĂźte en bois dĂ©montable. Elle est percĂ©e dâun trou pour permettre la sortie des guĂȘpes. Elle est aussi parcourue de quatre tiges mĂ©talliques pour fixer le nid, qui aident Ă©galement la reine guĂȘpe incapable de voler Ă remonter dans les hauteurs du nid au cas oĂč elle tomberait au fond de la boĂźte.
Nourriture
Si les guĂȘpes Ă©taient laissĂ©es Ă elles-mĂȘmes, on ne pourrait pas vraiment parler dâĂ©levage. Les Ă©leveurs fournissent Ă leurs protĂ©gĂ©es deux types dâaliments :
- De lâeau sucrĂ©e pour les glucides ;
- De la chair animale pour les protéines.
Le menu varie selon les éleveurs. On nous a parlé de foie de poulet et de morceaux de calmar en alternance. Un certain raffinement qui a aussi un certain coût.
Récolte
La rĂ©colte des nids se fait en gĂ©nĂ©ral en mĂȘme temps que les diffĂ©rents festivals dĂ©diĂ©s Ă la culture de la guĂȘpe, c’est-Ă -dire dĂ©but novembre.
Cette fois-ci, les guĂȘpes identifient les rĂ©colteurs comme des menaces : il est donc indispensable de porter des tenues de protection.
Le nid est dâabord enfumĂ© pour asphyxier les guĂȘpes, une technique Ă©galement utilisĂ©e en apiculture. Lâenveloppe extĂ©rieure est dĂ©coupĂ©e, puis les rayons sont sĂ©parĂ©s les uns des autres. Ceux qui contiennent des larves et des nymphes sont conservĂ©s.
La reine a dâabord pondu au cĆur du nid, puis Ă sa pĂ©riphĂ©rie. Un rayon assez ancien contiendra, du centre au bord :
- des alvĂ©oles vides, traces de guĂȘpes ayant achevĂ© leur croissance et dĂ©sormais actives,
- des alvéoles contenant des nymphes, avant-dernier stade de développement,
- des alvéoles contenant des larves, stade de développement précédent,
- des alvĂ©oles contenant des Ćufs,
- des alvĂ©oles vides, attendant dâĂȘtre utilisĂ©es pour la ponte.
Une fois les rayons sĂ©parĂ©s et les guĂȘpes adultes Ă©cartĂ©es, il est temps dâextraire les larves et nymphes de leurs alvĂ©oles Ă la pince Ă Ă©piler. Mieux vaut sâinstaller confortablement : lâopĂ©ration est longue.
La suite de lâhistoire, câest de la cuisine : je vous renvoie Ă nos articles recettes.
Beignets de riz sauce guĂȘpe (Hebo gohei mochi)
Les frelons
Le frelon asiatique, lui aussi, est chassĂ© dans un but alimentaire ; mais le contexte de cette chasse est diffĂ©rent de celui de la chasse aux guĂȘpes.
Chasse
La chasse aux frelons nâa pas lieu systĂ©matiquement au printemps : les frelons asiatiques sont dangereux, leur piqĂ»re peut en effet ĂȘtre mortelle.
Comme on ne va pas chercher le danger sâil nây en a pas besoin, seuls les nids signalĂ©s â dans les champs, les jardins, prĂšs des habitations, bref les nids auxquels les humains sont trop exposĂ©s â font lâobjet dâune traque.
Contrairement aux guĂȘpes, pas besoin dâattacher un fanion aux frelons : ils sont suffisamment gros pour pouvoir ĂȘtre suivis Ă lâĆil nu.
Comme les nids de guĂȘpes, les nids de frelons sont souterrains : leur dĂ©terrement dĂ©clenche une rĂ©ponse dĂ©fensive de la colonie, qui cherche Ă Ă©liminer les chasseurs.
Capture au piĂšge Ă alcool
Protégés par une tenue prévue à cet effet, les chasseurs déploient leurs piÚges à alcool.
GĂ©nĂ©ralement, il sâagit dâune demi-bouteille remplie de shĆchĆ« (alcool japonais titrant entre 20 et 45° alcoolique) ou de whisky japonais. Les frelons ne sont pas en train de chercher de la nourriture mais dâattaquer des intrus : le piĂšge ne peut donc pas ĂȘtre utilisĂ© de façon passive.
Les chasseurs « chassent » les frelons de la poitrine de leur tenue de protection par des mouvements rapides des bras vers les piĂšges. Les frelons qui entrent en contact avec lâalcool nâen ressortent pas.
Ces frelons morts sont laissĂ©s Ă macĂ©rer pendant au moins un an. Entre autres, leur venin se dilue dans lâalcool et donne au shĆchĆ«, plutĂŽt fade au naturel, un goĂ»t musquĂ©, puissant et typique. En thĂ©orie, le venin est dĂ©gradĂ© par cette attente, mais la boisson demeure Ă risque pour les allergiques.
Récolte
Un nid de frelons asiatiques ressemble Ă un nid de guĂȘpes, mais avec des habitants beaucoup plus grands. Sa rĂ©colte ressemble donc Ă celle dâun nid de guĂȘpes : on rĂ©cupĂšre dans leurs alvĂ©oles des larves et des nymphes.
Plus rares que les guĂȘpes, plus forts en goĂ»t, les frelons en dĂ©veloppement sont un ingrĂ©dient anecdotique lĂ oĂč les guĂȘpes sont un ingrĂ©dient saisonnier.
Une pratique peu banale
Carnivores et allergĂšnes, les guĂȘpes sont dâĂ©tranges animaux Ă exploiter pour lâalimentation humaine. Pour ne rien vous cacher, ni elles ni les frelons ne sont des exemples typiques dâĂ©levage dâinsectes et encore moins dâĂ©levage tout court : on prĂ©fĂšre gĂ©nĂ©ralement exploiter des animaux herbivores ou omnivores et moins dangereux.
Pourquoi cette pratique existe-t-elle, alors ? Pourquoi cette culture devrait-elle ĂȘtre encouragĂ©e ?
Nous espĂ©rons rĂ©pondre Ă ces questions dans nos prochains articles et vidĂ©os, en vous prĂ©sentant les personnes derriĂšre cette culture, en vous partageant ce quâelles nous ont gĂ©nĂ©reusement transmis.
Ce récapitulatif étant terminé, je vous dis à bientÎt.
[1] Ce sont des guĂȘpes du genre Vespula, Ă ne pas confondre avec les espĂšces du genre Vespa comme les jaunes et noires qui vivent en France (nous nâavons pas essayĂ©, mais dâaprĂšs les gens du cru les guĂȘpes jaunes et noires nâont pas bon goĂ»t).
[2] On se souvient que le mystĂšre des alvĂ©oles hexagonales a Ă©tĂ© rĂ©solu il nây a pas longtemps : les abeilles fabriquent en rĂ©alitĂ© des alvĂ©oles rondes, qui se dĂ©forment en prenant une forme Ă six cĂŽtĂ©s. (Source)
Bonjour, super votre aventure, je me suis lancĂ© dans l Ă©levage de vers de farine et criquets migrateurs pour la consommation personnelle et je me demandais si les guĂȘpes de France, les jaunes et noires sont comestible ? Merci
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Bonjour Christophe,
DĂ©solĂ© pour la rĂ©ponse tardive, et fĂ©licitations pour votre Ă©levage de vers de farine ! On espĂšre que vous vous rĂ©galerez đ
Concernant les guĂȘpes françaises, d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il est recommandĂ© de ne pas collecter d’insectes dans la nature – d’autant plus que les guĂȘpes ne vont probablement pas se laisser faire. L’idĂ©e Ă©tant qu’on ne sait jamais oĂč ils ont trainĂ©, et avec quels produits phytosanitaires ils ont Ă©tĂ© en contact !
Au Japon, on nous a dit que les guĂȘpes noires et blanches sont un peu plus dociles que les jaunes, et que les jaunes n’ont pas bon goĂ»t.
Ceci Ă©tant dit, les larves des guĂȘpes se ressemblent suffisamment pour que le doute reste permis. Vous pouvez tenter de poser la question Ă l’OPIE, ils devraient pouvoir vous Ă©clairer !
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Bonjour je suis un agriculteur tunisien et plus précisément apiculture.Je me demande si possible de travailler avec vous
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Bonjour, merci pour votre commentaire ! Malheureusement, je pense qu’une collaboration risque d’ĂȘtre compliquĂ©e, nous ne sommes pas disponibles. Bon courage !
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