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[JAPON đŸ‡ŻđŸ‡”] Quelques notes sur le festival de la guĂȘpe de Kushihara

Dans les rĂ©gions de Gifu et Nagano, plusieurs festivals dĂ©diĂ©s Ă  la culture de la guĂȘpe cĂ©lĂšbrent la pĂ©riode de la rĂ©colte des nids.

Nous avons assistĂ© au festival du village de Kushihara, et nous voulions vous en parler pour vous donner un sens de l’importance qu’il a dans la vie culturelle de la localitĂ©.

Plan

Figurez-vous un large espace libĂ©rĂ© pour une journĂ©e ; ici, c’était un terrain de camping. Une grande serre est montĂ©e Ă  une extrĂ©mitĂ© : on y dĂ©coupera des nids de guĂȘpes. À cĂŽtĂ© est un grand auvent sous lequel sont installĂ©es des tables : les nids nettoyĂ©s y seront dĂ©posĂ©s. Un peu plus loin, une petite halle est investie par les organisateurs : on y place la sono et l’infirmerie. Encore aprĂšs se trouvent des stands qui vendent nourriture, boissons et livres.

Schéma festival colorisé

En schĂ©ma…

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… et en rĂ©alitĂ© !

Activités

Autour des nids de guĂȘpes

Les Ă©leveurs de guĂȘpes profitent du festival pour amener leurs nids de guĂȘpes parvenus Ă  « maturité » : ayant passĂ© l’étĂ© Ă  ĂȘtre bien nourrie, les guĂȘpes ont crĂ©Ă© un nid plus grand dans lequel la reine a pondu de nombreux Ɠufs, qui sont devenus des larves puis des nymphes (je vous renvoie Ă  notre article sur le sujet).

Les Ă©leveurs ont deux raisons d’amener leurs nids au festival.

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IntĂ©rieur de la serre oĂč sont dĂ©piautĂ©s les nids : les camionnettes des Ă©leveurs entrent par un cĂŽtĂ© avec leurs nids et sortent par l’autre sans.

Tout d’abord, leur nid est nettoyĂ© et pesĂ© pour participer au concours du plus gros nid. Le gagnant reçoit un certificat et la reconnaissance de ses pairs.

Ensuite, le festival va attirer une grande concentration d’acheteurs de nids : c’est l’occasion pour les Ă©leveurs de les vendre, Ă  8000 yens[1] le kilo. Les acheteurs proviennent de toute la rĂ©gion : beaucoup sont des particuliers qui ne pratiquent pas l’Ă©levage mais apprĂ©cient les larves de guĂȘpes et sont ravis de pouvoir les dĂ©guster les plus fraĂźches possibles (aprĂšs les quatre heures traditionnelles de vidage du nid Ă  la pince Ă  Ă©piler). Les larves et nymphes de guĂȘpes qui ne sont pas mangĂ©es tout de suite seront congelĂ©es pour ĂȘtre dĂ©congelĂ©es Ă  l’occasion d’un autre repas, ce qui permet de faire durer un stock de guĂȘpes pendant l’hiver.

Stands de commerçants

Quelques stands indépendants émaillent le terrain du festival. Beaucoup sont des stands de nourriture, comme souvent dans les festivals japonais.

Certains vendent des prĂ©parations de guĂȘpe ou du riz Ă  la guĂȘpe.

Un stand profite du festival pour vendre des saucisses de daim et de sanglier qui ont Ă©tĂ© chassĂ©s dans la forĂȘt ; un autre a amenĂ© des criquets confits en tsukudani[2].

D’autres vendent du sakĂ© au frelon.

Certains stands tenus par des personnes trĂšs investies dans la culture vendent des livres sur la culture de la guĂȘpe.

Hebo Gohei Mochi

Mais le clou culinaire du festival, qui dĂ©place des gens exprĂšs pour lui, est le stand qui vend des hebo gohei mochi. Les gohei mochi sont, littĂ©ralement, des “pĂątĂ©s de riz” ; ils ont de nombreuses formes selon leur rĂ©gion d’origine, et sont gĂ©nĂ©ralement servis couverts de sauce. Cette sauce est ici aromatisĂ©e aux guĂȘpes (hebo en argot local).

Les hebo gohei mochi sont prĂ©parĂ©s la veille par des personnes de l’organisation du festival et grillĂ©s au fur et Ă  mesure de la demande[3].

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Ici, un tout petit Ă©chantillon de gohei mochi en train de griller, attendant d’ĂȘtre nappĂ©s de sauce.

Le festival ouvre à neuf heures ; les hebo gohei mochi sont tous partis à onze heures.

Difficultés rencontrées par le festival

Pour que le festival ait lieu et rassemble du monde, de nombreuses personnes doivent participer Ă  l’organisation de l’évĂ©nement.

Certaines difficultĂ©s organisationnelles sont d’ordre gĂ©nĂ©ral, mais le fait que le festival de Kushihara ait pour thĂšme la culture de la guĂȘpe crĂ©e des problĂšmes particuliers.

Renouvellement de la population

Monsieur Oshima, que nous avons rencontrĂ© au cours de notre voyage, est le prĂ©sident de l’association de conservation de la rĂ©gion. Une partie de son activitĂ© consiste Ă  faciliter l’installation de nouvelles personnes dans cette rĂ©gion montagneuse ; notamment, il permet la rencontre entre des propriĂ©taires qui souhaitent quitter la rĂ©gion et de nouveaux arrivants qui veulent acheter des maisons.

Monsieur Oshima est un homme Ă  la retraite, dĂ©jĂ  grand-pĂšre. En cela, il est reprĂ©sentatif de l’Ă©leveur de guĂȘpe moyen.

Quand une personne ou une famille s’installe dans la rĂ©gion, ça ne signifie pas forcĂ©ment qu’elle va se mettre Ă  toutes les traditions de la rĂ©gion : de nombreux jeunes qui viennent s’installer dans les montagnes ne montrent aucune envie de se mettre Ă  la culture de la guĂȘpe.

Le village de Kushihara n’est pas monomaniaque et il existe beaucoup  d’autres façons de socialiser : ce dĂ©sintĂ©rĂȘt pour les hebo ne pĂ©nalise pas les nouveaux arrivants, seulement le maintien de la tradition.

Quand bien mĂȘme de nombreuses personnes plus ou moins ĂągĂ©es sont ravies de consommer des guĂȘpes, le dĂ©sintĂ©rĂȘt de cette nouvelle population jeune fait craindre aux anciens que la jeune gĂ©nĂ©ration ne reprenne pas le flambeau. Qu’on manque d’éleveurs, qu’on manque d’organisateurs.

Sécurité du festival et conséquences

La culture de la guĂȘpe n’est pas seulement victime d’un dĂ©goĂ»t issu de l’incomprĂ©hension : les guĂȘpes sont intrinsĂšquement dangereuses. À un moment, il nous fallait en parler.

Quand la chasse aux frelons sert en premier lieu Ă  supprimer un nid dangereux et ne souffre pas d’une mauvaise rĂ©putation, le festival de la guĂȘpe rĂ©unit au mĂȘme endroit des dizaines de nid de guĂȘpes pour les dĂ©piauter les uns aprĂšs les autres, laissant une quantitĂ© importante de guĂȘpes sans domicile, dĂ©sorientĂ©es et en colĂšre dans un champ oĂč une centaine de personnes a Ă©tĂ© rĂ©unie pour l’occasion.

Les piqĂ»res sont un mal acceptĂ© et gĂ©rĂ© au festival de la guĂȘpe : une officine de premiers secours est mise en place dĂšs le dĂ©but du festival. Nous ne l’avons jamais vue manquer de matĂ©riel ou de personnel pour traiter les personnes piquĂ©es[4].

Piqure Kazu

Ici, Kazu en train d’ĂȘtre soignĂ© pour sa piqĂ»re.

L’affiche du festival recommande mĂȘme aux personnes allergiques de ne pas se rendre au festival. En plaisantant, l’organisateur en chef de cette annĂ©e nous a dit : « Sur une affiche de festival, il est normalement Ă©crit « Venez tous ! » ; nous sommes le seul festival qui Ă©crit sur son affiche « Ne venez pas ! »Â Â»

Si les pratiquants de la culture de la guĂȘpe ont acceptĂ© le risque de piqĂ»re, ce n’est pas le cas pour le reste du Japon.

Alors que plusieurs visiteurs ont Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©s par ambulance suite Ă  un choc anaphylactique cette annĂ©e, la crainte se rĂ©pand dans l’Ă©quipe d’organisation : le festival est tolĂ©rĂ©, mais pour combien de temps encore ?

Si le sentiment du danger devient plus important que le dĂ©sir de prĂ©server l’Ă©vĂ©nement annuel, parce que ni la population ni les autoritĂ©s ne ressentiraient le besoin de conserver une tradition qu’elles ne respectent pas, qui sait quels bĂątons pourraient venir se mettre dans les roues de l’équipe d’organisation ?

Les festivals Ă©tant des Ă©vĂ©nements majeurs dans la tradition entomocole rĂ©gionale, leur disparition serait un coup dur pour toute la culture de la guĂȘpe.

Quelles solutions ?

Nous ne sommes que deux français qui se sont invités une année : nous ne faisons dans cet article que rapporter des paroles qui nous ont été confiées.

Les solutions appartiennent aux habitants de la région, qui ne nous ont pas attendus.

Nous avons appris par une autre source, notre voyage terminĂ© depuis longtemps, l’existence d’un projet dans un lycĂ©e local. Des lycĂ©ens et lycĂ©ennes sont venus dans les villages, dans la forĂȘt, observer et participer Ă  l’élevage et la consommation de guĂȘpes : de ce qu’on nous a dit, le bilan est positif. Question jeune gĂ©nĂ©ration, plus jeune serait presque trop jeune ! VoilĂ  au moins un exemple d’espoir que la transmission de la culture et des pratiques se produise de la gĂ©nĂ©ration actuelle Ă  une autre.

AprĂšs tout, la tradition a rĂ©sistĂ© Ă  la fameuse Ăšre japonaise qui a fait adopter au pays un tas d’élĂ©ments culturels occidentaux quand d’autres types de consommations d’insectes ont disparu. Elle peut sĂ»rement perdurer encore !

Ce qui signifie que nous pouvons nous concentrer sur notre objectif initial : vous donner des éléments pour vous convaincre vous, compatriotes et autres occidentaux, que les insectes ne sont pas une nourriture « du futur » forcée à travers nos gorges, mais une nourriture du passé et du présent appréciée un peu partout ailleurs.

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Si vous n’ĂȘtes pas convaincus, tant pis : ça en fera plus pour nous. OM NOM NOM NOM.

[1] Soit environ 60€.

[2] Pour des raisons bien diffĂ©rentes, ces deux produits ont un lien logique avec la culture de la guĂȘpe, que nous voulons aborder dans un autre article.

[3] Nous avions Ă©tĂ© invitĂ©s Ă  la prĂ©paration collective, mais nous sommes arrivĂ©s de Tokyo en retard et n’avons pas pu y assister. Nous n’avons pas posĂ© toutes les questions que nous aurions voulu, mais nous avons eu la confirmation que la tradition de prĂ©parer des hebo gohei mochi pour le festival est assez ancienne pour que le flambeau du maĂźtre soit passĂ© d’une gĂ©nĂ©ration Ă  la gĂ©nĂ©ration suivante. Nous avons rencontrĂ© Shoko Miyake, la coordinatrice de la prĂ©paration des hebo gohei mochi actuelle, au moment oĂč elle croisait la femme qui lui a appris la recette ; verdict de cette maĂźtresse : « Pas assez de sucre. »

[4] La plaisanterie traditionnelle dit qu’au festival de la guĂȘpe, ceux qui ne sont pas piquĂ©s ne sont pas humains. La rĂ©dactrice de cet article a d’ailleurs l’honneur de vous informer qu’elle n’est pas humaine.

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