En Europe, on commence enfin à s’intéresser aux insectes comestibles. Et si la Belgique autorise aujourd’hui la vente de dix espèces pour l’alimentation humaine, ce sont trois insectes qui semblent sortir du lot dans les fermes européennes : le grillon, le ver de farine, et le criquet migrateur (le petit bestiau vert qui saute et qui fait ksksksksksk, pas les deux humains qui font le tour du monde). Faisons un petit tour d’horizon des méthodes d’élevage de ce trio gagnant.
L’élevage d’insectes en Europe : un speedrun de l’entomoculture
Autour du monde, dans les pays qui incluent traditionnellement les insectes dans leurs cuisines, ces ingrédients à six pattes ont toujours été obtenus en les récoltant dans l’environnement. À une ou deux exceptions près – les vers à soie et les fourmis tisserandes notamment – aucune espèce n’était élevée ; l’idée de monter des fermes à insectes comestibles comme alternative à la collecte n’a pas plus de quelques dizaines d’années, notamment en Thaïlande. Ce n’est donc que très récemment que les gens ont commencé à les élever.
L’Europe n’est pas passée par la phase de collecte des insectes dans l’environnement : elle a sauté directement à la case élevage. Il faut dire aussi que le contexte culturel et environnemental ne se prête pas à la chasse entomocole : les autres pays ont passé des centaines – voire des milliers – d’années à construire un savoir traditionnel des espèces comestibles, à connaître exactement quel insecte peut être mangé sans danger, et à parfois mettre en place une gestion traditionnelle durable de ces ressources naturelles – comme pour des champignons, en somme. En Europe, c’est un chapitre qui fait défaut dans notre histoire culinaire, nous n’avons pas de grand-mères vers qui nous tourner pour demander si ce scarabée multicolore qu’on a trouvé dans le jardin se mange ou pas. Ajoutez à cela que les populations d’insectes sont en chute libre, que les plannings d’usages des produits phytosanitaires en agriculture ne prévoient absolument pas la possibilité aux gens de collecter les criquets dans les champs, et les contraintes commerciales d’éventuels vendeurs d’insectes (comme mentionnées par Arnold van Huis dans son interview), et vous comprendrez pourquoi la collecte sauvage des insectes n’est absolument pas une option viable sur notre continent. Pas le choix : il va donc falloir les élever.
On l’a déjà évoqué dans l’article précédent : on élevait déjà des insectes en Europe avant de commencer à penser à en manger, pour les animaux de compagnie. Et parmi ces insectes, trois espèces sortent du lot dans les fermes européennes : le grillon, le ver de farine et le criquet migrateur.
Le grillon
Il est déjà la star de la Thaïlande (où élever d’autres insectes que lui relève de l’exception), il est aussi très répandu dans les fermes européennes : la majorité des produits européens à base d’insectes comestibles sont faits à base de grillons. La méthode d’élevage de cet animal est rodée, et à part la nécessité de maintenir une atmosphère tropicale, une ferme de grillon ne présente pas de défi technique important. À noter que si plusieurs espèces de grillons comestibles peuvent être élevés – Acheta domesticus et Gryllodes sigillatus, notamment – la méthode reste la même.
On vous a déjà parlé de l’élevage de Little Food dans un précédent article : en pleine agglomération bruxelloise, ils élèvent des grillons d’une façon très similaire à ce que nous avons vu au Cambodge et en Thaïlande – à ceci près que, Belgique oblige, les salles sont chauffées à 30°C grâce à des panneaux solaires.
Tout d’abord, des pondoirs pleins d’œufs – de grillons, pas de poule – sont laissés dans de grands bacs transparents : les bébés grillons vont éclore au bout de dix jours, sortir de terre, et explorer leur espace de vie. Celui-ci est agrémenté de boîtes à œufs – de poule, pas de grillons – qui font office de petites caches pour les insectes. « On essaie vraiment de reproduire leur milieu naturel, parce que le grillon est cavernicole : il fait des petits trous dans la terre », nous explique Maïté Mercier, la bio-ingénieure qui a cofondé Little Food. « D’où les boîtes à œufs : chaque alcôve leur permet de reproduire un peu ce petit trou dans la terre. »
Les grillons vont alors passer leurs journées à manger et boire, en commençant doucement à sortir de leurs bacs pour se balader dans leur enclos. L’alimentation des grillons est simple : un peu d’eau, un peu de son de blé, mais aussi des coproduits issus des filières agroalimentaires locales, comme des résidus de pressage d’huile de lin et de tournesol, ainsi que des pelures et résidus de pressages de fruits et légumes, récupérés auprès d’entreprises bruxelloises qui produisent des jus frais. Déchets pour les uns, c’est une excellente source d’alimentation fraîche pour les autres !
Le grillon est un insecte orthoptère hémimétabole, c’est-à-dire que chaque stade de croissance ressemble à une version miniature de l’adulte. Cet insecte va effectuer 7 mues avant d’atteindre le stade adulte, stade lors duquel il va striduler et se reproduire. Des pondoirs remplis de terre fraîche seront alors prêts à accueillir la nouvelle ponte et relancer le cycle dans un autre bac.
In fine, le grillon aura passé les 33 jours que durent son cycle dans le même enclos : pas besoin de le changer d’endroit en cours de croissance, ce qui est bien pratique… Car un autre insecte populaire en Europe ne peut pas faire l’objet de cette facilité : le criquet.
Le criquet migrateur
Grand favori des terrariophiles en quête d’un insecte haut de gamme à offrir à leurs reptiles, majestueux orthoptère qui a donné son nom à ce site, le criquet migrateur est un ingrédient impressionnant et croustillant qui décore les terrines, ou qui se grignote à l’apéro – comme 99% des insectes. Remarquons que nous parlons du criquet migrateur, Locusta migratoria, mais sa méthode d’élevage convient aussi à son cousin le criquet pèlerin, Schistocerca gregaria.
C’est à Deerlijk que nous nous sommes rendus pour visiter Nusect, afin d’en apprendre plus sur l’élevage de cet orthoptère – puisque comme mentionné précédemment, Nusect fournit en insectes à la fois les terrariophiles et les apéros.
Comme pour le grillon, les pensionnaires de Nusect sont élevés dans de grandes boîtes et cages stockées dans des salles chauffées à 30°C ; et comme le grillon, le criquet migrateur est un insecte hémimétabole : son cycle de vie très rapide (4 semaines) est ponctué de 5 mues. Cependant, à l’inverse du grillon, le criquet ne passe pas l’intégralité de sa vie dans le même enclos : chaque stade est séparé du précédent et transféré dans un enclos adapté – une grande boîte ouverte suffit pour les plus petits insectes, mais un couvercle est nécessaire pour les individus les plus gros, qui bondissent joyeusement dans tous les sens. Les adultes doivent même être gardés en cage, puisque c’est lors de ce sixième et ultime stade de croissance que les criquets disposent d’ailes développées : plutôt que d’aller voler n’importe où, ils sont gardés ensemble pour qu’ils puissent se reproduire en stridulant.
La croissance de cet insecte est très rapide, et qui dit croissance rapide dit appétit vorace. Les criquets vont dévorer de l’herbe fraîche fournie par un fermier du coin ; cette herbe doit être remplacée 5 fois par jour pour rester bien verte, car elle s’assèche très vite dans la chaleur de l’élevage. Les quantités d’herbes que le criquet va manger peuvent paraître énormes, surtout si elle doit être changée régulièrement, mais en réalité, c’est l’un des insectes les plus efficaces quand il s’agit de nourriture : il suffit d’à peine 1,5 kg d’herbe fraîche pour produire 1 kg de criquet (contre, par exemple, 4 kg de nourriture pour 1 kg de viande de poulet, 10 kg de nourriture pour 1 kg de viande de porc, et 25 kg de nourriture pour 1 kg de viande de bœuf).
Élever ces insectes surexcités n’est pas de tout repos – laissez leur cage ouverte deux secondes de trop et ils gambaderont joyeusement à travers la salle chauffée comme s’ils partaient en tour du monde pour tourner une série documentaire. Heureusement, le prochain insecte de cet article se tient un peu plus tranquille : le ver de farine.
Le ver de farine
Commençons par un peu de phylogénie : le ver de farine n’est pas un ver, mais la larve du ténébrion meunier, un petit coléoptère qui se nourrit de céréales, de son de blé et de débris végétaux. En plus des criquets migrateurs, Nusect élève aussi ces insectes-là : voici donc les bases d’une ferme de vers de farine.
Tout commence avec un bac rempli de ténébrions adultes : ces petits scarabées vont se reproduire, et leurs œufs tomberont à travers le grillage qui tapisse le fond dans un bac de son de blé situé en dessous. Contrairement au criquet, le ténébrion adulte n’est pas très actif, et ne vole pas : aucun risque qu’ils s’échappent de leurs bacs.
Dans les bacs de son, les œufs sont invisibles à l’œil nu – il faudra attendre que les petites larves éclosent et grandissent un peu en mangeant du son de blé pour commencer à les voir. Une fois qu’elles ont consommé tout le son de leur bac, celui-ci est passé au tamis afin de les trier pour retirer les déjections et les insectes morts, puis les larves sont re-réparties dans des bacs de son de blé. De temps en temps, les éleveurs leurs donnent de la carotte fraîche, qui leur apporte un peu d’hydratation et un complément nutritif.
Puis vient le moment de la récolte : lorsque les larves ont atteint une taille satisfaisante, elles sont à nouveau tamisées. Une partie d’entre elles sera récoltée, l’autre sera remise en bac pour la reproduction. Contrairement au grillon et au criquet, le ver de farine est holométabole : lors de sa transformation en nymphe puis en scarabée adulte, il change totalement d’apparence. Et contrairement au grillon et au criquet, le ténébrion adulte n’est pas consommable : son rôle est donc cantonné à la reproduction.
Cet insecte est plutôt pratique à élever : son milieu de vie est très simple – un bac de son de blé – et constitue à la fois son enclos et sa source de nourriture. Mis à part les carottes, son alimentation sèche peut se stocker facilement. Côté température, là où les grillons et les criquets ont besoin d’un minimum de 30°C, le ver de farine est plus robuste : 25 à 28°C lui conviennent tout à fait. Cependant, son cycle de vie est relativement long : là où le criquet et le grillon complètent les leurs en un mois, Tenebrio molitor a besoin de trois mois – une semaine d’incubation des œufs, six semaines de croissance, une semaine d’incubation des nymphes, puis un mois de vie au stade adulte. Il existe des variétés de vers de farine qui grandissent plus vite : le ver buffalo par exemple, Alphitobius diaperinus, ressemble à une version miniature du ténébrion meunier, et n’a besoin que de 45 jours. Le ver morio, Zophobas morio, est quant à lui la version XXL du ver de farine, et a besoin de 120 jours. Ces trois variétés de vers de farine peuvent se trouver dans les fermes d’insectes européennes, et s’élèvent globalement de la même façon.
Des candidats pour l’agriculture urbaine ?
Un avantage majeur que partagent ces trois insectes est qu’on peut les élever en forte densité : biologiquement parlant, les criquets et les vers de farine sont des insectes qui vivent naturellement en groupes de plusieurs centaines de milliers d’individus. Quant aux grillons, ils sont plutôt solitaires, mais pour peu qu’on leur fournisse suffisamment de boîtes à œufs, ils s’accommodent très bien de la vie à plusieurs en enclos.
De plus, les fermes d’insectes ne requièrent pas énormément de surface au sol, puisque leurs habitats peuvent être empilés. « Ici, on a construit trois salles d’élevage les unes au dessus des autres », nous explique par exemple Nikolaas Viaene, bio-ingénieur à Little Food. « C’est un avantage des insectes : on peut les élever verticalement. C’est un peu plus difficile de faire ça avec des vaches. » Quant à Nusect, la surface au sol de leur ferme est de 3 750 m² ; un petit calcul nous apprend que sur cette surface, sans compter les terres requises pour produire l’alimentation des animaux, on pourrait produire en un an 600 kg de poulet, 500 kg de porc et 160 kg de bœuf. Soit une miette comparée aux 13 tonnes de criquets et 180 tonnes de vers de farine produits chez Nusect.
Enfin, leur nourriture est relativement simple : une base de son de blé, et des déchets et coproduits frais issus de filières agroalimentaires locales, comme nous l’avons évoqué pour les grillons de Little Food. Les carottes données aux vers de farine à Nusect ne font pas exception : « Ce sont des carottes qui ne sont pas bonnes [pour l’alimentation humaine], parce que leurs formes ne sont pas bonnes, parce qu’elles sont trop petites, les commerçants ne veulent pas les vendre aux gens », nous explique Alexander Maroy. « Pour nous, c’est très important que les animaux qu’on mange valorisent des choses qu’on ne peut pas manger », dit Maïté Mercier. « Donc nos grillons sont vraiment nourris avec des coproduits de l’agriculture urbaine, toujours dans un esprit d’économie circulaire, l’alimentation doit être locale. […] Nous, on a le devoir en tant que producteurs d’aliments d’essayer de faire au mieux dans ce sens-là. »
Ainsi, ces animaux sont élevables en fortes densités, verticalement, et valorisent des coproduits frais locaux : ces trois insectes peuvent donc être d’excellents candidats dans des systèmes d’agriculture urbaine. Ajoutez à cela une touche d’automatisation de l’élevage – comme le fait Ynsect pour ses vers de farine par exemple – et un recyclage des déjections des insectes en engrais pour les plantes, et vous obtenez un premier plan pour un système circulaire qui pourrait tenir la route.
En attendant, si vous cherchez quelques idées pour les cuisiner, on a une vidéo pour vous !
Bsr svp je suis au Cameroun et je voudrais commencer l’élevage des ver de farine. Pouvez vous me donnez une adresse ou je pourrais trouver soit les œufs soit les adultes.
Mon numéro de téléphone WhatsApp est le +237 693180087
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Bonjour, peut-être arriverez-vous à en trouver en animalerie ?
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