Comme nous vous le disions dans le dernier article, nous avons eu le privilège de rencontrer le professeur Arnold Van Huis de l’université de Wageningen, l’un des rédacteurs du rapport de la FAO Edible Insects, Future prospects for Food and Feed security ; il est aussi le rédacteur en chef du Journal of Insects as Food and Feed. Nous avons discuté avec lui de ce rapport et de la place des insectes dans la culture occidentale.

Le professeur Arnold Van Huis
Criquets Migrateurs : Alors comme ça vous êtes un des rédacteurs du rapport de la FAO de 2013 ; comment ça s’est fait ?
Pr Arnold Van Huis : Pendant la majeure partie de ma vie j’ai été un spécialiste de la gestion agricole en climat tropical.
J’ai assisté à une conférence organisée par la FAO en 2008 en Thaïlande qui abordait le sujet des insectes comestibles ; je savais que le siège de la FAO se trouvait à Rome et je me suis demandé qui, à Rome, s’occupait réellement des questions concernant les insectes comestibles. En 2009, je me suis rendu compte qu’il s’agissait du département de foresterie. L’homme qui en avait la charge m’a demandé de l’aide pour écrire un guide, un livre, sur la façon de gérer les insectes. Nous avons entamé son écriture en 2010 et l’avons terminé en 2013.
Pendant un congrès important à Rio où je me trouvais, on m’a proposé de monter sur scène pour annoncer la parution du rapport. Je n’avais que deux minutes entre deux interventions, ce n’était pas le sujet du congrès. Mais après mon annonce, tout le monde a oublié le sujet du congrès : notre rapport était sur toutes les lèvres. Donc ça nous a fait une large publicité, pas seulement pour l’Université de Wageningen mais aussi pour la FAO qui n’avait jamais obtenu autant d’attention pour ses livres.
Le rapport a été téléchargé 2,4 millions de fois en vingt-quatre heures après mon annonce. Aujourd’hui, il a été téléchargé quelque chose comme 8 millions de fois. Je crois qu’il a ouvert les yeux de beaucoup de gens, qu’il les a initié à l’idée qu’on peut utiliser les insectes pour l’alimentation humaine et animale. Depuis, le concept a décollé dans un certain nombre de pays, et je crois que notre livre y a bien contribué.

Titre et début du texte de la réglementation Novel Food
CM : C’est vrai que ça a décollé, y compris en Europe malgré un certain nombre de difficultés… Comme, par exemple, la législation.
VH : Le cadre légal est l’un des problèmes les plus difficiles auquel le secteur est confronté. C’est un peu flou en ce moment, quels pays européens autorisent les insectes et lesquels ne les autorisent pas. Aux Pays-Bas et en Belgique c’est clairement autorisé, l’Allemagne est plus ambigüe.
En ce moment est employée la règlementation Novel Food. Je ne vous apprends pas le principe : si un insecte n’était pas consommé en Europe il y a vingt ans, alors c’est une « nourriture nouvelle » et les entreprises productrices devaient produire un dossier de sécurité alimentaire pour leurs insectes jusqu’à la fin 2017. L’Union Européenne est censée rendre sa décision avant 2020. Après ce processus, si l’autorisation est donnée, elle le sera pour l’entièreté des pays de l’Union et on en finira avec les ambigüités.
Un autre problème qui s’est présenté c’est qu’une entreprise qui dépose un dossier n’obtiendra une autorisation que pour son processus d’élevage spécifique. Ce n’est pas clair si une autre entreprise, qui élève la même espèce d’insecte avec un processus légèrement différent, doit elle-même déposer un autre dossier. Beaucoup d’entreprises se sont arrachées les cheveux là-dessus. Les plus grosses entreprises du secteur ont envoyé des dossiers plus facilement, d’autant plus que ce n’est pas gratuit : on m’a rapporté que le dépôt de dossier coûte 100000 à 200000 €. Les petites entreprises ne peuvent pas se permettre ce genre de dépenses.
CM : En Europe la production des insectes est l’affaire de quelques entreprises ; comment sont-elles apparues ?
VH : Il existait déjà une industrie d’élevage d’insectes pour l’alimentation animale, notamment pour tout ce qui est nouveaux animaux de compagnie. Certaines entreprises de ce secteur ont exploré la branche de l’alimentation humaine pour un investissement minime par rapport à tout développer de rien ; c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les insectes comestibles développés et commercialisés actuellement sont les mêmes que ceux qui étaient élevés pour l’alimentation animale.

Piège lumineux pour la capture des insectes
CM : Ailleurs dans le monde, on capture les insectes plutôt que de les élever… Ce n’est pas une option pour l’Europe ?
VH : Sous les tropiques la plupart des insectes sont effectivement récoltés dans la nature, ce qui présente beaucoup d’inconvénients. Vos insectes ne seront disponibles qu’à certaines saisons ; la récolte sera imprévisible. Je sais que dans le sud du continent africain il existait une usine de traitement des chenilles mopanes mais que la quantité de matière première était si irrégulière que l’usine a été abandonnée.
C’est l’un des plus gros problèmes ; l’autre est la surrécolte. Si on promeut les insectes comestibles et que tout le monde se met à les récolter, ça n’ira pas sans un épuisement des ressources naturelles.
Autre problème : la pollution. En Asie du Sud-Est, dans certains lacs, la population récoltait une quarantaine d’espèces d’insectes comestibles ; aujourd’hui, les eaux en sont si polluées qu’il n’y a presque plus d’insectes.
Enfin, si vous capturez des insectes dans la nature vous ne saurez jamais ce qu’a été leur alimentation : ils pourraient bien être contaminés par quelque chose.
Pour toutes ces raisons, c’est mon avis et celui de la majorité des gens qui réfléchissent au sujet que nous devons élever des insectes comestibles.
CM : On parlait d’insectes élevés en Europe qui nous viennent de l’industrie de l’alimentation animale, revenons deux minutes sur les espèces.
VH : On est sur un choix très limité. L’Union Européenne prévoit d’autoriser à la consommation sept espèces d’insectes : parmi elles, des grillons (un régal tout autour du monde ceux-là), plusieurs espèces de vers de farine, et puis les criquets.
CM : Comment savons-nous quelle espèce d’insecte est comestible ou non ?
VH : Nous disposons d’une liste des espèces consommées dans le monde qui monte à 2100 espèces.
CM : Ah bon ? Ce n’était pas 1900 espèces ?
VH : Non, ce nombre-là date d’il y a quelques années.
CM : D’accord, donc actuellement on sait qu’un insecte est comestible parce qu’un peuple du monde l’a déjà mangé sans en mourir, en fait.
VH : Eh bien oui. Cela dit, la densité d’espèces d’insectes comestibles recensées a aussi un rapport avec l’activité des chercheurs. Je veux dire, nous éditons une carte des espèces d’insectes comestibles recensées, et sur cette carte nous pouvons voir dans quel pays il y a le plus d’espèces d’insectes comestibles.
Le Mexique est couvert de marques. Pourquoi ? Parce qu’il y a une unique chercheuse, Julieta Ramos-Elorduy, qui a publié au moins une centaine d’articles sur les insectes comestibles mexicains !
La République Centrafricaine se démarque aussi comme un pays aux nombreuses espèces d’insectes comestibles différentes. Pourquoi ? Parce que c’est une ancienne colonie où des chercheurs européens sont venus travailler, et qu’il y a eu un entomologiste belge qui s’est intéressé spécifiquement aux insectes comestibles là-bas.
Nous connaissons ce qui a fait l’objet d’une publication scientifique. Ça ne signifie pas que dans le pays d’à-côté les gens mangent moins d’espèces d’insectes.

Plateau découverte d’insectes comestibles mexicains, marché de San Juan, Mexico, Mexique
CM : D’accord, donc la quantité d’espèces d’insectes comestibles relevée dans un pays est davantage un signe de la qualité de la documentation que de la consommation effective d’insectes ?
VH : Oui, et je vais vous dire quelque chose : dès 2003, dans un de mes articles, j’ai proposé qu’on passe plus de temps à faire l’inventaire des espèces d’insectes consommées. Parce que, vous savez, si on ne réalise pas ce travail, tout ça sera perdu.
Ce qu’on constate dans les tropiques, c’est que les gens qui atteignent un certain niveau de vie, un certain niveau d’éducation, ne consomment plus d’insectes. Pour eux, manger des insectes est un marqueur social de pauvreté voire une habitude « primitive » dont ils veulent se débarrasser.
Je ne suis pas d’accord avec cette idée, je pense que les insectes sont un excellent aliment, mais on ne peut pas nier que cette idée des insectes existe. Peut-être que si, en Occident, nous commençons à manger des insectes sérieusement, cette mentalité pourra changer. « On faisait ça avant eux depuis des siècles, pourquoi s’arrêter maintenant ? » En tout cas c’est ce que j’espère.
CM : Cette idée culturelle que les insectes sont une nourriture de pauvres, est-ce qu’elle vient de l’Occident ou des pays de tradition entomophage eux-mêmes ?
VH : Je vais vous raconter une petite anecdote.
Il y a des années de ça, je travaillais sur un projet agricole dans quelques pays sub-sahariens ; j’ai commencé par le Nigeria. Je donnais des cours sur la façon de se débarrasser des sauterelles qui attaquent les cultures de millet et personne ne m’opposait d’objection. Puis, en vacances, je discute avec d’autres gens qui m’apprennent que les paysans tirent un meilleur revenu de la vente de sauterelles capturées que de la vente du millet !
Je me suis dit : « Comment ai-je pu être aussi stupide ? Je travaille sur ce sujet depuis trois ans et je ne me suis jamais rendu compte que les gens vendaient les sauterelles ! » Mais après j’ai compris : les gens, dans les tropiques, ne voulaient pas parler des sauterelles aux Occidentaux parce qu’ils savaient que les Occidentaux jugent ces pratiques primitives. Ça m’a ouvert les yeux.
Pour mes autres interventions dans les vingt-sept pays suivants où j’ai travaillé, je posais directement la question des insectes comestibles et là les gens m’en parlaient.

Sauterelle, Nkolngem, Cameroun
CM : En Thaïlande où nous avons séjourné, il y a bien une réticence des citadins à consommer des insectes mais ça n’a pas l’air d’avoir atteint ce stade…
VH : La Thaïlande, comme d’autres pays de l’Asie du Sud-Est, est en proie à une urbanisation galopante, et comme les insectes sont capturés dans la nature… les citadins y ont moins accès. Cela dit, on voit que les thaïlandais se tournent vers l’élevage d’insectes plutôt que vers l’abandon de la consommation.
Contrairement à l’Afrique, en Thaïlande j’ai moins retrouvé ce côté « les insectes sont primitifs donc il ne faut pas en parler ». En Asie il y a peut-être un peu plus de fierté culinaire… Ce problème de perception est bien plus prégnant dans les pays africains où j’ai travaillé.
CM : Notre rapport occidental à la consommation d’insectes a l’air d’avoir affecté le monde à la mesure où l’Occident a affecté le monde…
VH : J’avais interviewé un chef cuisinier, René Redzepi, qui me disait : « De quel droit qualifions-nous, occidentaux, les insectes comestibles de primitifs ? » De son point de vue, c’était une attitude raciste.
Pour ma part, c’est la raison pour laquelle je n’aime pas beaucoup le mot « entomophagie ». C’est une notion inventée par des Occidentaux, qui met l’emphase sur le fait que les peuples des tropiques ont des coutumes étranges comme manger des insectes. Ça ne présente pas les insectes comme une nourriture normale, et il est temps de considérer les insectes comme de la nourriture normale.
Toutes ces nouvelles possibilités nutritionnelles offertes par les insectes, nous les devons aux peuples des pays en voie de développement. Ce sont eux qui nous ont appris qu’il était faisable de les manger et d’en nourrir nos animaux.
CM : On n’avait jamais pensé au stigmate sur le mot « entomophagie » lui-même avant cette interview…
VH : Oh, vous ne trouverez pas d’article qui aborde exactement ce sujet.
Mais regardez un mot comme « géophagie », la coutume de manger de la terre, particulièrement chez les femmes enceintes, dans les tropiques – qu’il s’agisse de terre de termitière ou d’autres comme le kaolin.
Il y a dans ces terres des minéraux, et comme les femmes enceintes peuvent avoir de l’anémie ou des carences en zinc elles les utilisent comme compléments alimentaires. Beaucoup de gens en consomment au cours de leur vie, on peut les trouver comprimées en pastilles sur les marchés, disponibles à l’achat pour les femmes enceintes qui en ont besoin, c’est parfaitement normalisé.
Mais l’Occident ne connaît pas : il appelle ça de la géophagie. Si je mange des crevettes, va-t-on m’appeler un décapodophage ? Non, ça n’a pas de sens parce que ça, contrairement aux insectes, c’est « parfaitement normal ». Vous voyez le tableau.
CM : On utilise le mot entomoculture avec les Criquets Migrateurs… Mais maintenant que j’y pense c’est très français comme expression, on ne l’a pas vraiment vue ailleurs et ça évoque surtout l’élevage des insectes.
VH : Mouais, on parlerait plutôt d’élevage, de production d’insectes.
Il faut aussi faire attention à pourquoi on appelle ça des « insectes ». Une étudiante en thèse ici à Wageningen a réalisé une étude comparative entre la perception des insectes aux Pays-Bas et en Thaïlande. Quand elle présentait des vers de farine à des thaïlandais, ils trouvaient ça répugnant. Ils n’aiment pas ces insectes : ils ne les reconnaissent pas. Aux Pays-Bas, les vers de farine sont les insectes les plus courants et un grand nombre de gens en mangera volontiers.
Vous voyez le souci ? Même sous les tropiques, un groupe ethnique voisin d’un autre ne va pas du tout consommer les mêmes espèces d’insectes. On doit faire attention à cette généralisation derrière le mot insecte qui pourrait faire croire que tout le monde mange tous les insectes. Ce n’est pas vrai du tout.
CM : Pour revenir sur le sujet des espèces : il n’y a pas du tout de recherche pour découvrir de nouvelles espèces d’insectes comestibles, auxquelles personne n’aurait pensé avant ?
VH : On a déjà 2100 espèces identifiées, une liste qui ne peut que s’agrandir. Rien qu’hier (ndlr : la veille du jour de notre interview) un article est tombé qui identifie une nouvelle espèce de grillons comme consommée alors qu’on n’en avait pas la moindre idée avant. On a déjà du pain sur la planche…
Bien sûr, si vous voulez parler de la méthode scientifique, on peut dire que ces espèces-là ont été sélectionnées par les gens du commun par essai et erreur pendant des siècles. D’ailleurs, certaines espèces d’insectes sont dangereuses à consommer crues, voire irritantes pour la peau et pour les yeux, mais les locaux ont appris à les préparer par exemple en les laissant tremper dans l’eau.
Dans nos contrées occidentales, je ne recommandrais à personne d’aller récolter des insectes au fond de son jardin pour essayer de les cuisiner. Certaines sont littéralement du poison. Mangez des insectes élevés proprement.

Tzatziki aux vers de farine
CM : Revenons en Occident. Comment qualifieriez-vous la place des insectes dans la culture européenne ?
VH : Si on parle des insectes comme alimentation humaine… C’est compliqué pour les Occidentaux d’accepter l’idée. La première association quand on pense aux insectes, c’est la saleté, le dégoût. Nous résistons à la notion d’insectes comestibles parce que nous avons surtout des attitudes négatives vis-à-vis des insectes. Mais si on regarde, sur tout le taxon, quels insectes sont effectivement néfastes, on ne parle que de 0,1% ! La plupart des insectes nous sont utiles !
Mais là, je vous parle de la situation d’il y a quinze ans ; il y a eu un tournant depuis. Presque tout le monde sait qu’on peut manger des insectes quand la majorité l’ignorait auparavant. Et une portion de plus en plus grande de la population est prête à essayer. Bien sûr, il y a toujours des obstacles à passer.
CM : Comme par exemple ?
VH : Rendre les insectes agréables, informer le public sur le fait que les insectes sont des aliments sûrs, trouver les bons produits, rappeler les bénéfices pour l’environnement, avoir des ambassadeurs… Ce genre de choses.
Que le public soit prêt à essayer ne suffit pas. Aux Pays-Bas, il y a quelques temps, un supermarché a mis un pâté pour hamburger à base d’insectes bien en évidence dans ses rayons. Mais ces burgers n’étaient pas très savoureux, et le produit a bidé. Déjà que l’idée de manger des insectes est dure à avaler, si en plus le produit n’est pas bon, ça ne va jamais marcher ! Si on présente un nouveau produit au public, il faut que ce soit quelque chose de délicieux.
CM : Des ambassadeurs ?
VH : Les enfants. Les adultes sont biaisés ; les enfants sont prêts à essayer tout ce qu’ils peuvent ! Et ce qu’il y a de bien, c’est qu’une fois le premier essai passé, le problème psychologique s’évanouit puisque les insectes ont bon goût.
CM : Pour vous, la barrière de l’acceptabilité est déjà passée ?
VH : S’il y a 20% de la population prête à essayer, il faut arrêter de cibler les 80% qui ne veulent pas en entendre parler : il faut passer au développement de produits. Les insectes doivent briller !
Si ces 20% de gens mangeaient un snack aux insectes par semaine, l’industrie exploserait déjà complètement. C’est toujours un produit de niche avec une offre qui s’en ressent.
CM : Que voulez-vous dire ?
VH : En général, si vous regardez le prix des insectes comestibles, il est trop élevé.
C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’entreprises étudie l’automatisation du processus d’élevage, parce que le salaire des travailleurs de l’élevage est ce qui leur coûte le plus cher.
Elles recherchent aussi les substrats les plus économiques, ce qui est effectivement une idée à creuser. Les grillons, par exemple, peuvent se nourrir de déchets alimentaires végétaux. En Thaïlande on les nourrit au son, je ne sais pas si on peut faire la même chose en Europe. En tout cas il existe ces stratégies destinées à baisser les prix.

Mousse d’artichaut aux grillons, Bruxelles, Belgique
CM : Pourquoi est-ce important de baisser le prix ?
VH : Parce que les insectes sont en compétition avec les autres produits animaux, et les autres alternatives à la viande.
CM : Ah, oui, peu importent tous les bénéfices environnementaux si personne ne peut se payer d’insectes et que les produits sont décevant gastronomiquement…
VH : En fait, cette information est plus importante que ce qu’on pourrait croire.
En Belgique, une étude a comparé le goût ressenti des insectes par deux groupes : l’un à qui on avait donné des informations sur les bienfaits de la consommation d’insectes du point de vue développement durable, l’autre étant un goupe de contrôle à qui on n’a pas donné ces informations.
Le groupe informé a trouvé les insectes plus savoureux. Bien sûr qu’il y a une composante psychologique là-dedans, mais ça n’en fait pas une mauvaise stratégie.
CM : Attendez, donc l’emphase sur l’impact environnemental et les bénéfices pour la santé… est en fait une bonne stratégie… pour le public occidental ?
VH : Eh oui.
D’ailleurs on n’a pas parlé des aspects santé. J’imagine que vous savez que l’avis des experts en nutrition est que les insectes sont aussi nourrissants que d’autres produits animaux.
Il y aurait aussi d’autres bienfaits. Dernièrement, une publication des États-Unis montre que les grillons peuvent améliorer la flore intestinale. La chitine, qui forme l’exosquelette des insectes, aurait l’effet de renforcer le système immunitaire.
Il n’y a pas d’étude montrant que les bienfaits de la consommation d’insectes pour la santé donne davantage envie aux gens d’en manger, mais il n’est pas interdit de le penser.
CM : Il y a deux grandes approches dans la réalisation de produits à base d’insectes : les cacher, ou les montrer. Quelle est la gagnante, pensez-vous ?
VH : Il y a des avantages et des inconvénients aux deux.
La plupart des gens ne veulent pas voir les insectes ; on obtient des produits plus sympathiques pour le public si on les cache. Mais on perd le public aventurier, et on s’aliène potentiellement le public inquiet des additifs alimentaires qui pourrait trouver suspect qu’on dissimule la présence des insectes dans les aliments transformés. Cela dit, ces deux groupes représentent un nombre limité de consommateurs.
La stratégie actuelle, partout dans le monde, est de cacher l’insecte, y compris son goût. Je trouve ça dommage.

Une chenille mopane sur le poing de Sébastien
CM : Tout à l’heure, vous parliez d’entrer en concurrence avec des alternatives à la viande. Vous pensez au végétarisme ? Que peuvent penser les végétariens des insectes ?
VH : Je dis souvent aux gens que s’ils veulent sauver la planète, ils devraient commencer par arrêter le boeuf. Quitte à le remplacer par du poulet ou du porc parce que c’est toujours une petite marge de gagnée.
Ne pas manger d’animaux du tout paraît la meilleure idée mais nutritionnellement ça devient plus difficile d’obtenir les bons acides aminés et autres nutriments.
Pour répondre à votre question sur les végétariens, je pense que ça dépend de pourquoi ils ne mangent pas d’animaux : si c’est pour ne pas vivre de sur l’exploitation des animaux, les insectes ne peuvent pas leur convenir. Mais si c’est pour des raisons de bien-être animal au cours de l’élevage, les insectes pourraient les intéresser. On ne me pose jamais de question sur le bien-être des insectes élevés, mais on a une publi qui est tombée il y a quelques temps qui montre que les pratiques d’élevage utilisées aujourd’hui ne dérangent pas les insectes.
Après, il y a la question de si les insectes sont conscients, sentients. Les insectes ressentent certainement la douleur, ils ont des réflexes de rétractation face à une agression. Il y a quelques années, il a été mis en évidence que les bourdons ressentent des émotions (ce qui ne garantit rien pour les autres espèces d’insectes).
Pour toutes ces raisons, je pense que nous devons prendre des précautions avec les insectes. Les entreprises d’insectes sont conscientes de ce sujet : elles s’efforcent d’utiliser des méthodes d’abattage rapides et indolores, notamment la congélation.
Personnellement je crois que la vie de tous les insectes a une valeur intrinsèque et qu’il faut les traiter avec bienveillance, quand bien même ils sont notre investissement pour un avenir plus respectueux de l’environnement.
Notre entretien avec Arnold Van Huis s’est conclu là.
Nous ne nous sommes pas arrêtés au niveau théorique de l’Université, puisque nous sommes allés visiter des élevages d’insectes comestibles en Belgique ; nous vous en parlerons dans un prochain article. À bientôt.
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