Au cours de notre séjour en Australie, au contact des personnes aborigènes et des professionnel·le·s qui travaillent avec elles, nous avons recueilli des informations intéressantes sur les witchetty grubs, le principal insecte consommé par les aborigènes. Scientifiquement parlant, tout n’est pas su ! Mais voici déjà les infos que nous avons.
Trouver et manger des larves
Chez les aborigènes des régions du centre de l’Australie, les corvées alimentaires sont plutôt genrées. Les femmes de la famille partent en cueillette dans le bush ramasser divers produits, tandis que les hommes sont partis chasser des marsupiaux (par exemple des kangourous) ou des oiseaux (par exemple des émeus).
La chasse est une activité hasardeuse : les chasseurs ne ramènent pas toujours d’animaux, soit qu’ils ne trouvent pas les troupeaux, soit qu’aucun animal ne soit assez gros pour qu’il vaille la peine d’être tué et ramené au camp. Mais en leur défaillance, une autre source de protéines est disponible, et ce ne sont pas eux qui la ramènent.
Les cueilleuses marchent à travers le bush à la recherche de ressources sur leur territoire : le terrain qui a nos yeux semble aride a été comparé à un verger, ou un grenier, ou un supermarché. Pour qui a reçu l’éducation à la faune et à la flore nécessaire, le bush apparaît plein de plantes comestibles, médicinales ou autrement utiles. Sur le territoire, il peut y avoir des buissons d’acacia particuliers (appelés witchetty bushes en anglais) renommés pour être propices ; les femmes creusent la terre autour de lui à la recherche de ses racines.
Si leur évaluation a été bonne, elles trouvent à l’intérieur des racines de l’arbre des larves d’une taille allant de celle d’un doigt à celle d’une main. Ce sont elles, les « witchetty grubs » dont on parle. Cuites sous la cendre, elles fourniront à la famille des protéines et des lipides qui tiennent au corps : il est clair que les witchetty grubs sont la source de nourriture animale la plus fréquente pour la famille, bien avant les résultats de la chasse des hommes.
Comme nous sommes au cours de notre voyage partis spécifiquement en quête de larves, les personnes que nous avons rencontrées ont bien mis l’emphase sur le fait que la collecte de ressources traditionnelle dans le bush n’était jamais spécifique : le groupe de femmes et de filles se déployait à la recherche d’une variété de matériaux, d’outils, de remèdes et de nourriture. Creuser à la recherche de witchetty grubs était une activité réalisée si et seulement si le groupe croisait un ou plusieurs arbres prometteurs sur son chemin.
Voilà pour leur lien avec les êtres humains. Les witchetty grubs existent bien sûr indépendamment de la collecte humaine, et c’est justement certains aspects biologiques qui sont moins connus.
Mystères dans le cycle de vie
Ces larves trouvées dans des racines d’acacias appartiennent à plusieurs espèces différentes, et même très différentes : on y trouve des papillons de nuit et des capricornes, qui ont tous comme particularité et point commun d’être xylophages.
Parce que leurs larves ont le même milieu de vie et la même nourriture, elles se ressemblent. Il ne serait pas possible d’identifier de quelle espèce la bestiole qu’on trouve dans une racine est la larve sans aller regarder dans son ADN. Il n’y aurait pas de connaissance précise de toutes les espèces dont les larves sont consommées.
Par ailleurs, ni la littérature ni le savoir local ne disent comment les larves se retrouvent dans les racines alors qu’elles sont pondues sur les troncs et les branches par les insectes adultes. La durée de la période larvaire des witchetty grubs n’est pas précisément sue… surtout que les espèces d’insectes qui donnent ces larves ne sont pas encore bien différenciées.
Ces données inconnues paraissent énormes, mais quand on y réfléchit bien, elles n’avaient pas une grande utilité pour les consommateurs traditionnels, qui n’ont pas essayé de prendre le contrôle du cycle de vie des witchetty grubs pour les domestiquer.
Aujourd’hui, la cueillette traditionnelle décrite plus haut n’arrive plus quotidiennement comme on l’a racontée. Les populations aborigènes se sont beaucoup sédentarisées, ce qui est un impact direct de la colonisation britannique et des politiques australiennes de gestion des peuples indigènes, dont l’horreur n’est pas l’objet de cet article.
Cependant, les traditions perdurent sous la forme de sorties « de loisir » qui ont pour but la transmission des techniques et des valeurs qui cimentent les cultures aborigènes aux générations suivantes. Ces activités peuvent être en partie financées par les réparations versées par le gouvernement australien, mais aussi par le tourisme culturel.
Ainsi, malgré tout, la consommation de witchetty grubs comme celle d’autres denrées alimentaires traditionnelles perdure.
Nous voici à la fin de l’article: le prochain sera, je vous le promets, un peu plus sucré que celui-ci.
4 réflexions sur “[Australie 🇦🇺] Witchetty grubs : la viande sous les arbres”