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[Europe 🇪🇺] Préparer des insectes aux européens

Maintenant que nous savons qu’il y a des producteurs d’insectes comestibles européens, la moitié du mystère de l’apparition des produits à base d’insectes comestibles sur le marché européen est résolue. Reste l’autre : qui sont les transformateurs, les préparateurs de ces insectes, résolus à marketer l’entomophagie à des pays dont ce n’est pas la culture ? Aujourd’hui, nous vous présentons l’un d’entre eux à titre d’exemple.


Dans cet article, nous allons vous parler de l’entreprise Jimini’s. C’est l’occasion de rappeler en passant que Jimini’s est l’un de nos sponsors : sans leur contribution en nature sous la forme d’heures de travail de leur merveilleuse graphiste, Les Criquets Migrateurs n’auraient pas eu les moyens de se payer l’incroyable logo qui est resté le nôtre depuis.

Regardez-le. Si élégant. D’une puissance évocatrice sans égale. Prémonitoire du Brexit.

Jimini’s est fondée en 2012 par Bastien Rabastens et Clément Scellier, deux individus qui ont lu le fameux rapport de la FAO sur la place des insectes dans l’alimentation humaine mondiale (voir notre interview d’Arnold Van Huis). Ils ont tiré de leur lecture la conclusion que les insectes ont une place dans l’avenir d’une Europe qui se soucierait de respecter davantage l’environnement, selon l’adage que pour produire de la protéine animale avec des insectes, il faut moins d’eau et moins de nourriture que pour la plupart des grands animaux d’élevage. Restait la grande question :

D’accord, mais comment en faire manger aux Français ?

Leurs prises de représentations et autres études de marché ont montré ce qu’on sait tous un peu déjà au fond de nous : en 2012, pour le citoyen français moyen, les insectes, c’était dégoûtant, ça ne mangeait pas. En fait, c’est surtout que ça ne fait pas partie de notre tradition alimentaire et culinaire (contrairement à un crabe, une grenouille, un escargot ou une huître qui sont, eux, des aliments tout à fait fréquentables).

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Insectes européens non-assaisonnés

Fichu pour fichu, Jimini’s commence par introduire des criquets* et des « molitors »** entiers, lyophilisés et assaisonnés, sur les tables basses des apéritifs arrosés. Des sortes de chips animales pour un marketing fondé sur la levée éthylique des inhibitions. Ceux qui osent l’entomophagie découvrent que les criquets et molitors, ça se mange et même que c’est très bon.

Les présentations faites, l’entreprise a ajouté des grillons, des « buffalos »*** et de nouveaux assaisonnement à ses recettes. Mais pour nourrir l’Hexagone aux hexapodes, Jimini’s ne pouvait pas se contenter des tables basses : on ne se rassasie pas à l’apéritif.

Le premier contact effectué entre les consommateurs et les insectes, l’entreprise pouvait désormais passer à d’autres types de produits. Par exemple, les barres protéinées. Présenter les insectes comme une source de protéines de haute qualité obtenues par un élevage respectueux de l’environnement permettait d’attirer l’attention de la clientèle de ces produits. Sur la même idée, Jimini’s s’est aussi mis aux granolas.

Cependant, une barre protéinée, ça ne nourrit toujours pas. Jimini’s a également produit des pâtes enrichies à la poudre d’insectes qui deviennent ainsi, de façon invisible, hyperprotéinées. Un produit on ne peut plus normal qui poursuit l’effort constant de normaliser les insectes comme aliments – quand bien même celui-ci n’est plus aussi « dans ta face ».

pâtes jimini's

Mais après tout nous sommes un pays où l’on parle nourriture constamment ; le spectacle d’une tablée française qui déjeune tout en discutant de ce qu’elle préparera le soir-même ou de ce qu’elle a dégusté la veille est d’une banalité confondante. Jimini’s a estimé que les insectes n’iraient nulle part si sa clientèle ne pouvait pas les cuisiner elle-même, d’où la mise sur le marché de sa gamme d’insectes toujours lyophilisés mais goût nature.

 

 

 

 

Enfin, en 2019 quand nous avons visité leurs locaux, Jimini’s nous a parlé de la mise au point du futur produit qui, on l’espère, reposera sur les étals des magasins dans un futur proche. Toujours dans la continuité d’insérer les insectes dans l’alimentation normale, une réalisation : les insectes sont des protéines animales au même titre que de la viande ou du poisson. Une assiette classique, déclinable en une immense quantité de plats différents, c’est une pièce de viande ou de poisson, accompagnée d’un féculent et de quelques légumes sur le côté. Est-il possible de créer une « pièce d’insectes » ?

C’était l’objet de la thèse CIFRE de la désormais docteure Charlotte Floret, meneuse de ces recherches issues d’un partenariat entre Jimini’s et le laboratoire AgroParisTech-INRA. Son objectif d’alors : un steak d’insectes, « un inSteak » comme Jimini’s l’appelle. « Un produit simili-carné à base de poudre d’insectes, un produit qui soit plus accessible pour les consommateurs, plus attirant du point de vue organoleptique. » Mais pas question pour l’entreprise de nier ses racines. Comme nous l’a expliqué Charlotte en 2019 :

« Actuellement il y a plusieurs stratégies pour faire accepter les insectes aux consommateurs occidentaux. Soit on choisit de miser sur l’insecte lui-même, soit on minimise la présence de l’insecte dans le produit en le réduisant par exemple en poudre. Jimini’s pratique déjà les deux approches : frontale avec la gamme apéritive, furtive avec les barres protéinées. Pour ce prochain produit, on se situerait un peu entre les deux : à la fois on va dissimuler, car on ne verra pas les insectes entiers, mais le but n’est pas de faire un faux steak haché de viande dans lequel le bœuf serait remplacé par des insectes, à la façon de ce qui a été fait en végétal. On veut mettre en valeur l’insecte en tant que tel, véritablement commercialiser un pavé d’insectes qui sera apprécié pour ce qu’il sera et pas par dépit. »


Notre alimentation et nos repas sont des aspects très régulés de nos vies : l’un des obstacles à l’adoption massive des insectes est le manque de place pour eux dans l’espace codifié de nos petits-déjeuners, déjeuners, goûters, dîners et en-cas.

Petit à petit et produit par produit, Jimini’s et ses concurrents proposent au consommateur des solutions clé en main pour introduire les insectes dans notre alimentation quotidienne. Cela peut-il changer la face de la gastronomie européenne ? Ça, ça reste entre nos mains. On le rappelle, aujourd’hui la majorité des occidentaux prêts à manger des d’insectes ne mangent des insectes qu’occasionnellement. Si chacun de ses consommateurs introduisait les insectes dans son alimentation sur une base plus régulière, cela représenterait déjà une explosion de la demande.

Si vous voulez faire baisser les prix et stabiliser une filière insectes européenne durable, la meilleure chose à faire est encore d’en manger. Trouvez les produits à base d’insectes qui vous plaisent dans le catalogue des différentes marques existantes, achetez-en et régalez-vous.

C’est le premier objectif des Criquets Migrateurs depuis le début de nos voyages et de nos documentaires.


* migrateurs. Locusta migratoria. Aucun lien de parenté.

** vers de farine, c’est-à-dire larves du ténébrion molitor.

*** larves du petit ténébrion, qui n’est pas le même insecte que le ténébrion : il est plus petit.

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