Ils sont apparus d’un coup il y a quelques années : en Belgique, en France, en Angleterre, aux Pays-Bas sans prévenir : des produits à base d’insectes destinés à la consommation humaine. Ces insectes lyophilisés, crackers, pâtes ou barres de céréales n’ont pas été tirées du néant : il a bien fallu que quelqu’un les fabrique, que quelqu’un fournisse ces insectes !
Mais quel genre d’entreprise a pu se lancer dans l’élevage d’insectes comestibles alors que le consommateur européen ne leur avait rien demandé ?
Du Feed vers le Food
Les entreprises éleveuses d’insectes comestibles ne sont pas sorties de nulle part. Celles qui ont pris le marché à son démarrage l’ont pu parce qu’elles produisaient déjà des insectes comestibles. Pourquoi ? Pour l’alimentation animale.
Quels sont ces animaux qui mangent des insectes ? Pas des vaches rassurez-vous, mais certains oiseaux et certains reptiles : des Nouveaux Animaux de Compagnie arrivés dans les foyers en masse à partir des années 1980. Un animal de compagnie, ça se nourrit. Leurs propriétaires ont cherché un approvisionnement régulier en nourriture : un marché s’est ouvert et les entrepreneurs s’y sont installés.
Les infrastructures de production en (petite) masse d’insectes élevés, comparables d’une certaine façon aux fermes d’insectes que nous avons vues autour du monde et dont nous vous faisons le récapitulatif dans ce récent article, étaient donc déjà en place depuis longtemps quand l’idée est venue de tenter la commercialisation de produits alimentaires à base d’insectes pour les humains.
Alors certes, les réglementations en matière d’hygiène pour la production de l’alimentation animale et de l’alimentation humaine ne sont pas les mêmes, mais elles ne sont pas non plus incompatibles : il est possible d’adapter sa chaîne de production pour obtenir des insectes qui conviennent aux deux filières.
Heureusement pour la notion de libre concurrence, ces acteurs historiques ne sont pas les seuls sur le marché désormais : de nouvelles structures se sont montées, tournées exclusivement vers la production pour le marché alimentaire humain.
Nous avons rencontré pour vous un ancien et un nouveau, question de parité.
Nusect
L’entreprise Nusect est lancée en 2004 par son fondateur que nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer. Son successeur, Alexander Maroy, est parti des quatre poulaillers industriels rachetés par le prédécesseur pour agrandir son affaire.
Chez Nusect, on produit des criquets migrateurs, des vers de farine et des vers buffalos, principalement à destination des nouveaux animaux de compagnie. Pour preuve de cette spécialité, l’entreprise possède quelques machines pour pasteuriser, emballer et congeler les insectes : en fait, elle les tient du rachat d’une marque d’aliments pour animaux, Top-Insect, qui exporte dans plusieurs pays.
Cela dit, Maroy réfléchit à l’alimentation humaine depuis longtemps : ancien vétérinaire d’élevages de porcs et de poulets, il s’inquiétait des conditions de production de la viande. Sa rencontre avec le fondateur de Nusect le convainc qu’il y a quelque chose à creuser du côté des insectes. Nusect fournit un peu d’insectes pour l’alimentation humaine : à sa connaissance, ses acheteurs lyophilisent les criquets et transforment les vers de farine en pâtes.
Contrairement à son approche pour l’alimentation animale, Nusect ne compte ni investir dans du matériel de cuisine ni lancer sa propre marque destinée aux humains, car la demande en insectes pour l’alimentation humaine est encore trop faible pour le justifier. Maroy reste néanmoins convaincu que les insectes ont un avenir devant eux, et espère voir la demande augmenter.
Little Food
Little Food est une entreprise gérant un élevage de grillons basé dans un quartier de Bruxelles – une localisation surprenamment urbaine pour de l’agriculture, raison pour laquelle on parle d’agriculture urbaine.
Ses activités à l’époque où nous les avons rencontrés : l’élevage de grillons, mais aussi leur transformation en aliments prêts à consommer, le packaging et la commercialisation de leurs produits ! Ajoutons à ça le volet pédagogique – ils font visiter leur élevage à qui veut et présentent leur démarche – et l’aspect recherche et développement, et vous comprendrez que Maïté Mercier et Nikolaas Viaene, ses cofondateurs, veuillent souffler un peu.
L’entreprise souhaite en effet abandonner son contact direct avec les particuliers (ou, dans le jargon, « BtoC » pour « Business to Consumer ») : à terme, concentrer leur activité sur l’élevage des grillons et vendre leur production à une autre entreprise qui se chargerait de les préparer pour leur commercialisation aux consommateurs.
Une épidémie dans leur élevage a convaincu les deux entrepreneurs qu’il ne suffit pas de manger des insectes, mais qu’il faut aussi réfléchir soigneusement leurs modes de production : ne pas chercher à devenir l’énorme élevage intensif qui écrase sa concurrence, mais fonder plus de petits élevages ; ne pas chercher à exporter partout, mais répondre à la demande locale ; ne pas considérer les autres entreprises comme des concurrentes, mais comme des partenaires.
Ils ne sont pas les seuls à être parvenus à ces deux conclusions : si la filière insecte doit se développer (et, ici, aux Criquets Migrateurs, nous espérons qu’elle le fera), le sens logique de son développement est l’émergence de nouveaux acteurs et la spécialisation de tous dans un des maillons de la chaîne logistique destinée à apporter des insectes dans nos assiettes.
Pour celles et ceux, évidemment, qui sont d’accord pour en manger.
Â
Encore un super article qui résume bien la réalité des choses ! Merci des témoignages !
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Excellent travail que vous nous faites là , celui de continuer à nous informer de dessous de cartes et de l’évolution de ce secteur en plein balbutiement. Muchisimas gracias.
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