Les peuples du territoire qui correspond aujourd’hui au Mexique mangeaient des insectes : malgrĂ© les tentatives d’effacement culturel, on en est certains. Voici quelques Ă©lĂ©ments sur cette histoire !
Les conditions s’y prĂȘtent
Avant la conquĂȘte espagnole, peu d’animaux sont Ă©levĂ©s sur le territoire du futur Mexique. Le lama et ses cousins sont utilisĂ©s pour leur laine mais pas pour leur viande. L’environnement fournit des poissons, des reptiles, des tatous, des oiseaux, mais tous ces animaux sont plutĂŽt vifs et leur courir aprĂšs est une dĂ©pense d’Ă©nergie que leurs calories ne compense pas toujours.
Si l’Ă©levage n’est pas leur point fort faute d’espĂšces faciles Ă Ă©lever, les peuples prĂ©hispaniques ont en revanche une maĂźtrise incroyable de l’agriculture. Non seulement les champs se trouvent attirer certains insectes, comme les sauterelles, mais en plus la saisonnalitĂ© de la rĂ©colte des insectes et la nĂ©cessitĂ© de les conserver ne reprĂ©sente aucune difficultĂ© pour eux.
Dans ces conditions, il n’est pas trĂšs Ă©tonnant que capturer des sauterelles dans les champs, des chenilles sur les arbres ou des fourmis au moment de leur grand envol nuptial soit une source de nourriture rentable.
Des interdits alimentaires

Par exemple, il n’est pas question de toucher aux aigles, profondĂ©ment divins.
Ce n’est pas parce que quelque chose est comestible et pratique Ă attraper qu’un peuple va forcĂ©ment l’intĂ©grer Ă son alimentation.
Notamment, les croyances des peuples prĂ©hispaniques font Ă©tat d’animaux divins, sacrĂ©s, magiques ou tabous, qui forment une longue liste d’animaux porteurs de restrictions alimentaires ou de conditions trĂšs particuliĂšres autorisant leur consommation.
Les insectes n’auraient pas eu ces restrictions. Peut-ĂȘtre Ă cause d’une diffĂ©rence de traitement entre les grands animaux et les petites bestioles liĂ©e Ă leur taille. En tout cas, sans ces interdits alimentaires, les insectes auraient formĂ© un rĂ©servoir de protĂ©ines plus pratique que le gibier.
Des archives perdues mais un témoignage certain
La relation des autoritĂ©s – civiles comme religieuses – espagnoles avec les peuples amĂ©ricains prĂ©sents sur le futur territoire du Mexique a Ă©tĂ© complexe.
D’un cĂŽtĂ©, la rĂ©alitĂ© des monuments en pierre bĂątis au milieu de la forĂȘt ou au sommet de hautes montagnes a empĂȘchĂ© les tĂ©moins hispaniques de l’Ă©poque de les classer derechef dans la catĂ©gorie « sauvages », comme cela avait Ă©tĂ© si facilement fait avec des populations qui vivaient en villages ou en campements plutĂŽt qu’en villes. De l’autre, le polythĂ©isme, les vĂȘtements lĂ©gers et les sacrifices humains Ă©taient des Ă©lĂ©ments culturels inacceptables pour les espagnols.
Un genre de « dualitĂ© coloniale » est ressortie de ce choc culturel. Un groupe pensait que si les peuples amĂ©ricains d’origine Ă©taient civilisĂ©s, alors il y avait des choses Ă apprendre de leur culture et celle-ci devait ĂȘtre conservĂ©e. Un autre groupe pensait que si les peuples amĂ©ricains d’origine Ă©taient civilisĂ©s, alors ils mĂ©ritaient qu’on prenne le temps de les aider Ă remplacer leur culture, forcĂ©ment mauvaise, par la vraie bonne culture espagnole.

Existe en plein d’Ă©ditions, en voici une au hasard.
Cette mise en contexte avait pour but de vous parler du manuscrit Historia verdadera de la conquista de la Nueva España, Ă©crit par un soldat de l’armĂ©e de CortĂ©s ; ce codex contient un rare tĂ©moignage de la vie des AztĂšques pendant la conquĂȘte espagnole. Une partie de l’ouvrage s’intitule La Mesa de Moctezuma et parle, tout simplement, des plats servis Ă l’empereur Moctezuma au cours d’un diner rituel.
L’un de ses plats est un plat de chapulines, ces sauterelles dont on vous a prĂ©sentĂ© deux recettes.
Comme les colons souhaitant dĂ©truire les traces Ă©crites des cultures prĂ©hispaniques ont plutĂŽt rĂ©ussi leur coup, cette mention est l’un des rares tĂ©moignages d’Ă©poque d’une consommation d’insectes.
Au fond, quelle importance que les peuples préhispaniques aient mangé ou non des insectes ?
Ici comme souvent sur ce blog, c’est une question de regard occidental.
Puisque nous visualisons les insectes comme une non-nourriture, ou tout au plus une nourriture de survie, nous avons du mal à visualiser leur consommation comme un élément culturel valable.
LĂąchĂ©s en pays dotĂ© d’un passĂ© colonial prĂ©gnant, nous nous sommes posĂ© une question simple et bĂȘte : s’agissait-il bien de pratiques traditionnelles, ou bien les envahisseurs espagnols avaient-ils affamĂ© les peuples indigĂšnes au point que ceux-ci avaient dĂ» se tourner vers les insectes ?
Nos interlocuteurs nous ont renseignĂ©s : c’est le premier choix qui est le bon. Les insectes Ă©taient consommĂ©s, et l’influence espagnole est plutĂŽt allĂ©e dans le sens d’une disparition de cette consommation, de la mĂȘme façon que les colons ont tentĂ© de remplacer le maĂŻs par le blĂ© comme base de l’alimentation.
Cependant, de la mĂȘme façon que les crĂ©ations vĂ©gĂ©tales issues du gĂ©nie agricole amĂ©ricain se sont imposĂ©es partout dans le monde1, les recettes d’insectes ont continuĂ© d’exister et d’Ă©voluer jusqu’Ă aujourd’hui. Elles sont bien un hĂ©ritage des peuples indigĂšnes et sont dĂ©fendues en tant que telles par les personnes qui promeuvent la consommation d’insectes au Mexique.
Mais pour ce qui est de l’actualitĂ© des insectes comestibles au Mexique, on vous en parlera au prochain article.
1 On ne va pas vous faire lâaffront du rappel, si ? MaĂŻs, pomme de terre, tomate, cacao⊠Une liste un peu plus complĂšte mais toujours pas exhaustive en suivant ce lien !

3 réflexions sur “[Mexique đČđœ] Insectes prĂ©hispaniques”